La C.E. veut des réponses
Boues rouges de Gardanne : la Commission européenne veut des réponses
Bruxelles demande aux autorités françaises les motivations de l’autorisation du rejet en mer de déchets dont la toxicité dépasse les plafonds légaux.
LE MONDE | 26.01.2017 Par Martine Valo
Dans le feuilleton des boues rouges de Gardanne (Bouches-du-Rhône), un nouvel acteur entre en scène : la Commission européenne, dont la direction générale de l’environnement a envoyé par écrit, mardi 24 janvier, une volée de questions au gouvernement français.
Celui-ci a dix semaines pour répondre à ce document, dont Le Monde a eu connaissance, et qui marque le début d’une procédure de pré-contentieux dans cette affaire de rejets industriels en mer.
Le 17 mars 2016 déjà, les services de la Commission avaient tenu une réunion avec les autorités françaises et s’étaient enquis d’un éventuel plan de gestion et de prévention des pollutions émanant de l’usine de Gardanne.
Faute de réponse, Bruxelles passe à une phase plus investigatrice. Ses interrogations portent sur l’arrêté signé par le préfet le 28 décembre 2015, qui autorise pour six ans Alteo à déverser en Méditerranée, plus précisément en plein parc national marin des Calanques, les effluents liquides de sa production d’alumines de spécialité à base de bauxite.
Depuis 1966, l’usine a rejeté en mer, dans le canyon de Cassidaigne, par 320 mètres de fond, des millions de tonnes de boues rouges, avant d’être récemment obligée de s’équiper de filtres-presses. Aujourd’hui, elle garde à terre les boues d’extraction et envoie les liquides restants à sept kilomètres du littoral, via une canalisation. Or, ceux-ci dépassent les normes légales par leurs taux d’arsenic, d’aluminium, de fer et de trois autres contaminants. Alteo a donc eu besoin de dérogations, que l’Etat lui a accordées.
Bras de fer Valls-Royal
Cette indulgence avait donné lieu à un bras de fer entre Manuel Valls, alors premier ministre, et Ségolène Royal, ministre de l’environnement, la seconde accusant le premier d’avoir incité le préfet à signer l’arrêté controversé.
A son tour, à la demande d’eurodéputés français, dont les écologistes Michèle Rivasi et José Bové, ainsi que d’associations, la Commission se penche sur « les conditions dans lesquelles les autorités françaises compétentes ont autorisé » ce jour-là Alteo à poursuivre une activité qui contrevient à plusieurs directives européennes.
D’abord à celle de 2006 sur les déchets de l’industrie extractive : la Commission rappelle que dans ce secteur sensible, l’Etat membre doit « veiller à ce que l’exploitant prenne toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou réduire autant que possible les effets néfastes sur l’environnement et la santé humaine », y compris après la fermeture du site.
L’industriel doit en particulier « recueillir et traiter les eaux contaminées provenant de l’installation afin qu’elles atteignent la qualité requise pour pouvoir être rejetées ». En conséquence, Bruxelles se demande sur quels textes législatifs la France s’est appuyée pour délivrer des dérogations.
Employer les « meilleures techniques disponibles »
Manifestement bons connaisseurs du dossier, les fonctionnaires européens pointent aussi le problème de l’entreposage à terre. « De quelle nature sont les déchets solides issus de l’extraction d’alumine sur le site de Gardanne ? L’analyse de leur toxicité a-t-elle été uniquement effectuée par l’exploitant ? », interrogent-ils. Ou bien les services de l’Etat s’en sont-ils chargés ? Quels en sont les résultats, notamment pour les métaux lourds ?
Comme pour achever de placer l’Etat face à ses responsabilités, la direction générale de l’environnement met en avant une autre directive, celle de 2010 relative aux émissions industrielles. Celle-ci impose le concept des « meilleures techniques disponibles » qu’il aurait fallu mettre en œuvre, en particulier dans le traitement des effluents liquides. De nouveau, elle interroge : ce standard a-t-il été respecté, notamment dans la réduction de l’acidité des eaux rejetées en mer et pour les métaux non ferreux ?
Le dossier tombe aussi sous le coup de la directive-cadre sur l’eau, un texte important de l’Union européenne (UE) adopté en 2000. Voilà qui donne lieu à un nouveau rappel du rôle des Etats membres : à eux de prendre « toutes les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface ». S’enchaîne alors toute une série de questions : a-t-il été mis en place une surveillance de l’état chimique des eaux concernées par le déversement ? Le cas échéant, peut-on en connaître les résultats, « en particulier sur la zone protégée constituée par le site Natura 2000 » ?
Protection des fonds marins
Sur ce point, les fonctionnaires soulignent des manquements supplémentaires, vis-à-vis cette fois de la directive européenne Habitats. Non seulement la vieille canalisation de l’usine d’extraction d’alumine débouche dans la Méditerranée, mais elle touche des zones classées notamment pour la richesse de leurs herbiers à posidonies, qui constituent des refuges pour jeunes poissons et crustacés.
Ces fonds marins sont donc considérés comme « d’intérêt communautaire prioritaire », rappellent les services de la Commission, qui se demandent sur quelles bases les autorités françaises ont pu se fonder pour considérer que cette façon de se débarrasser de déchets industriels n’avait pas « un effet significatif » sur la faune marine.
La missive se termine par une question sibylline sur l’arrêté du 28 décembre 2015 : celui-ci fait-il encore l’objet de recours devant la justice française ? Cette réponse-là au moins est connue. Plusieurs associations de défense de l’environnement mais également des organisations de pêcheurs, très remontées, continuent de réclamer l’annulation de cette décision préfectorale, ou au moins le raccourcissement du délai de six ans accordé à Alteo pour se mettre aux normes.
Mercredi 25 janvier, lors du dernier débat de la primaire à gauche, le candidat Benoît Hamon évoquait cette affaire. Manuel Valls, a-t-il lancé, « aurait dû intervenir sur les boues rouges », qui présentent des risques « considérables », alors que lui-même s’était déjà déclaré « fermement opposé » à leur rejet en mer. Quel qu’il soit, le prochain gouvernement devra sans doute répondre à de nombreuses interrogations sur ce feuilleton, qui débuta par de fortes mobilisations sur la côte méditerranéenne il y a maintenant un demi-siècle.